Photo de couverture, source Laure Waridel Facebook
Parce qu’aimer c’est…
Laure Waridel est cofondatrice et ancienne présidente et porte-parole d’Équiterre, une organisation écologiste québécoise. Elle est née le 10 janvier 1973 à Chesalles-sur-Oron, en Suisse.
Écosociologue, PhD et professeure associée à l’UQAM, spécialisée en développement international et en environnement, elle est considérée comme l’une des pionnières du commerce équitable et de la consommation responsable au Québec.
Laure Waridel est une militante sociale, une consultante, une chroniqueuse et écrivaine, une environnementaliste et une commentatrice radio et télé.
Source Wikipédia
Dès le début de notre conversation, Laure Waridel plonge dans le vif du sujet et bien que son discours soit empreint de passion, il n’est certainement pas aveugle à la réalité des enjeux environnementaux.
Elle dit d’emblée :
«On devrait être rendu beaucoup plus loin, avoir pris des décisions plus courageuses et fait des virages beaucoup plus importants que ce qu’on a fait jusqu’à présent. J’ai des moments de découragements quand je réalise qu’on doit encore répéter les mêmes choses qu’on expliquait il y a 30 ans. Des évidences quant à notre vulnérabilité face aux écosystèmes. On a toute l’expertise scientifique qui nous dit qu’on a besoin de la nature pour avoir de l’eau, de l’air et de la nourriture. Notre survie est dépendante de la nature. Et malgré cela, on saccage. Les derniers rapports des Nations Unies sur l’état de la biodiversité et sur les 20 objectifs révèlent que l’on n’en a atteint aucun.» (voir l’Objectif d’Aichi)
Mais pour Laure Waridel, réalisme ne veut pas dire négativisme.

Elle poursuit dans le même élan.
«C’est décourageant, mais il faut continuer. Si on n’avait pas eu la mobilisation citoyenne, la situation serait pire. Là où les gouvernements agissent, c’est qu’il y a une pression citoyenne.» Elle énumère : «la diminution des gaz à effet de serre par exemple, ou la santé des gens qui s’améliore quand on a réduit la pollution de l’eau et de l’air. Oui, on fait une différence. Et même si les nouvelles ne sont pas très bonnes, il y a des améliorations!»
Parmi ces améliorations, pensons au commerce équitable. Il y a 20 ans, il y avait un ou deux points de vente de café équitable. Aujourd’hui les points de vente foisonnent. La diminution des sacs de plastique dans les commerces est un franc succès et les fermes qui pratiquent l’agriculture biologique se multiplient.
La présence du vélo aussi.
Elle insiste :
«Les mentalités changent tranquillement. L’année dernière, on était un demi-million de personnes dans les rues qui manifestaient aux gouvernements leur inquiétude et les pressaient de prendre des mesures. C’était, je crois, la plus grande mobilisation au monde.»
L.A. Avez-vous le sentiment que les gouvernements entendent?
L.W. Pas assez! Il faut qu’on prenne le pouvoir. À l’échelle locale, aux élections municipales. On peut agir à petite échelle, les citoyens engagés peuvent changer les choses.
L.A. Avez-vous entendu parler de l’asphaltage du P’tit train du nord?
L.W. Oui mais, pourquoi ont-ils décidé d’asphalter?
L.A. C’est une décision gouvernementale, des MRC et des municipalités. Ils nous disent que l’asphalte est moins polluant que la poussière de roche. Un bon groupe de manifestants a contesté et demandé un moratoire pour que la municipalité ou la MRC nous produisent des études sur les pour et les contres. Mais malgré une pétition signée par des milliers de personnes, ils n’ont pas été entendus.
L.W. Dans ce genre de projet, il est important d’aller chercher des avis de scientifiques indépendants. En tant que citoyens ou dirigeants on a parfois l’impression que telles ou telles choses sont plus polluantes que d’autres sans avoir toutes les données en main.

Quand on veut faire des choix écologiques, ce n’est jamais facile. C’est pourquoi les décideurs doivent faire appel à des scientifiques indépendants. Mais le plus souvent, nos décideurs n’ont pas ce réflexe. Ils se fient plus aux sondages ou à la pression des grandes entreprises.
L.A. Comment vivre ces grands enjeux environnementaux au jour le jour quand on est pressé ou que le coût de la vie dépasse notre capacité de payer?
L.W. Idéalement, on développe le réflexe de se poser la question sur l’impact des choix que nous faisons au quotidien. S’informer fait partie de la marche vers le succès ainsi que prendre la parole. Additionnés les uns aux autres, tous ces gestes multipliés par le nombre de citoyens ont un grand impact. Parmi ces gestes, faire du covoiturage et réduire le nombre de voitures par famille. Créer des banques d’outils entre voisins. Créer des systèmes de partage plus grands ce qui multiplie automatiquement des réseaux d’entraide. Ça crée un sentiment de sécurité et cela nous permet de trouver des solutions bénéfiques quand arrive un malheur, une inondation ou autre. Il y a aussi un impact sur la santé mentale : les liens, le partage et l’entraide sont bénéfiques et contribuent à prévenir les risques de dépression. Et puis pour les aînés aussi, le fait d’être en relation avec d’autres, retarde la perte de moyens cognitifs.
L.A. Les grandes entreprises sont souvent de grands pollueurs. Cependant, elles créent des milliers d’emplois qui donnent une stabilité familiale, sociale et économique. Comment jongler avec la création d’emplois, la fabrication de matière de base souvent très polluante, mais nécessaire comme l’acier par exemple, la santé de la Terre et la sécurité financière de milliers de familles?
L.W. On a besoin d’une biodiversité économique parce que chacun a son rôle à jouer. On a besoin de grandes entreprises, de beaucoup de petites et moyennes entreprises, privées ou publiques. On n’est pas gagnant quand on a trop de grandes entreprises parce qu’elles finissent par faire ce qu’elles veulent. Des études ont été faites dans les domaines pharmaceutique, agroalimentaire et énergétique entre autres et qui démontrent que les oligopoles fragilisent notre économie et l’équité. Quand une grande entreprise dans une région décide de plier bagage, la population devient beaucoup plus vulnérable. On doit prendre des décisions politiques qui tiennent compte de la biodiversité.
L.A. Quand on est dépendant d’une grande entreprise qui permet de rapporter des sous à la maison, n’est-ce pas difficile pour certaines personnes de faire des choix bio ou écologiques?
L.W. C’est rare qu’il y ait juste un choix. Bien sûr, certaines personnes sont plus vulnérables, mais quand on creuse, on a souvent le choix d’un emploi plutôt qu’un autre. On a aussi le choix de se recycler s’il le faut et celui de parler. On a besoin d’avoir des gens dans les grandes entreprises qui vont prendre la parole pour convaincre l’employeur de changer les choses. On peut commencer par de petites choses. On peut avoir une influence. On a besoin d’entreprises qui sont au service du bien commun et qui développent de bonnes pratiques écologiques.
L.A. Comment le gouvernement peut-il soutenir l’emploi d’une main et de l’autre mettre un bouchon sur la pollution quelle crée?
L.W. Pour les subventions, les crédits d’impôt et les mesures fiscales, on devrait appliquer le principe d’écoconditionnalité. C’est-à-dire mettre des conditions environnementales ou de justice sociale pour accéder aux argents. Les entreprises diront que ce n’est pas le temps de mettre des contraintes de plus. Mais oui, c’est le temps! Les crises sont des occasions de se réinventer, des occasions de penser à l’extérieur des cadres habituels. Il faut voir cela comme des opportunités. Comment est-ce qu’on peut faire plus avec moins de ressources matérielles et en générant plus d’emplois?
En agriculture, l’utilisation d’énergie fossile peut être remplacée par de la main-d’œuvre. S’il y a une pénurie de main-d’œuvre, c’est parce qu’on n’a pas formé de travailleurs agricoles et aussi parce qu’on n’est pas prêts à les payer décemment. Si on les payait bien, je suis convaincue que beaucoup de Québécois seraient intéressés.
L.A. Que diriez-vous aux gens qui ne veulent plus faire d’enfants sur une terre qui agonise?
L.W. Je les comprends. C’est une question que je me suis posée avant d’avoir des enfants. C’est une question délicate à laquelle chacun peut réfléchir et répondre. Mais je suis persuadée que chaque vie mérite d’être célébrée.

Avant de me quitter elle me lit le premier paragraphe de son livre : La transition c’est maintenant qui va comme suit :
- Si j’avais à choisir un verbe pour incarner la transition ce serait aimer.
- Parce qu’aimer est un gisement inépuisable de volonté
- Parce qu’aimer donne la force de passer par-dessus des obstacles
- Parce qu’aimer relie
- Parce qu’aimer rend créatif
- Parce qu’aimer est une énergie éternellement renouvelable et la plus puissante qui soit
- Parce qu’aimer est universel
- Parce qu’aimer c’est coopérer
- Parce qu’aimer donne de l’espoir
- Parce qu’aimer abat la peur
- Parce qu’aimer nous rend responsables les uns des autres
- Parce qu’aimer fait naître la bienveillance Parce qu’aimer c’est transformer.
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